Another Timbre TimHarrisonbre

home    CD catalogue    online projects    index of musicians    texts    orders    submissions    contact    links

at157     Giuliano d’Angiolini  ‘Antifona’


1 - ‘Ad ora incerta’ pour orchestre  (2018)     10:14    Youtube extrait

     Orchestra del Teatro Comunale di Bologna, cond. Tonino Battista

     Enregistrement ‘live’ au AngelicA Festival 2018

2 - ‘Aria1’ pour piano  (2016)     10:11

    Giuliano d’Angiolini (piano)

3 - ‘Antifona’  pourflute et piano  (2018)     11:31

    Manuel Zurria (flute)  Mark Knoop (piano)

4 - ‘Litania’  pour six instruments  (2017)     15:04    Youtube extrait

    Apartment House                                            



Youtube extract


PayPal: Add d'Angiolini - Antifona to cart

English text here

Entretien avec Giuliano d’Angiolini


Dans la pochette de votre nouveau CD, vous déclarez que les compositions suivent des procédures strictes d'indétermination (réalisées par diverses techniques). Chaque performance sonne différemment, avec des hauteurs, des durées, des harmonies et des combinaisons instrumentales changeantes. Pouvez-vous expliquer comment ces principes d'indétermination fonctionnent dans chaque pièce ?


Dans la partie pour orchestre de Ad ora incerta de sons longuement tenus ou de bribes de phrases mélodiques, sont insérés dans des zones temporelles mesurés en secondes dont les marges sont elles même fluctuantes : c'est le système de time brackets de John Cage. La succession des événements est imprévisible ainsi que leurs combinaisons, mais la composition est conçue de manière à que - quelles qu'elles soient les rencontres - l'harmonie de base soit toujours consonante. La partie du piano, au contraire, est entièrement écrite et se superpose à celle de l'orchestre. Dans Aria1 l'interprète a à disposition, pour chaque attaque, un ensemble de trois à cinq notes issues d'une gamme pentatonique qui glisse progressivement dans le champ chromatique. Aucune durée n'est indiquée, ce qui oblige l'interprète à s'impliquer un peu plus dans le processus compositionnel. Litania applique le même principe à un ensemble instrumental, mais ici on distingue entre de sons longs et courts (dont la durée, toutefois, n'est pas précisé). De plus il y aura des superpositions de densité variable : chaque interprète intervient à n'importe quel moment après que celui qui précède a commencé à jouer, mais avant la fin de l'intervention de celui-ci. Si ces trois pièces appliquent pleinement des procédés d'indétermination aussi bien à l'articulation temporelle des événements qu'à l'organisation des sons, dans Antifona je propose pour chaque attaque un choix entre plusieurs sons, mais la durée de chacun d'eux est précisément notée.


L'indétermination peut aller dans des directions différentes. Certains voient l'aléa comme une sorte de discipline objective et ne souhaitent aucune contribution de la part des interprètes, tandis que d'autres accueillent les choix des musiciens comme un moyen intéressant d'édifier une musique à partir de l'imprévisibilité. Comment voyez-vous votre musique à l'intérieur de ce spectre de possibilité et pourquoi continuez-vous sur ce chemin ?


Il convient d'abord de distinguer entre « aléa », « hasard » et « indétermination » : ce sont des choses différentes. Quant au rôle qui joue l'interprète dans mes compositions on peut dire qu'il est variable. Souvent le musicien a bien plus de liberté que dans les musiques entièrement déterminées, y compris la liberté de ne pas être obligé de compter les temps et les mesures, ce qui permet de vivre plus intimement le son et la musique. Parfois il a à disposition un large champ d'action et donc une plus grande responsabilité dans le processus musical, comme il arrive pour Aria1. Cette implication accrue de l'interprète demande une discipline particulière de sa part : dans la partition de cette pièce, je précise que « le choix de notes ne doit pas découler d'une logique ou d'un plan déterminé. [L'interprète doit] maintenir l'esprit serein et ouvert pour accueillir aussi bien les choix qui découlent d'un goût personnel que l'imprévu. Une figure apparaît : laissez-la apparaître pour que chaque évènement puisse être réellement lui-même ».

Dans Aria1 (aussi bien que dans Cantilena qui fait partie de notre premier disque) tout se réduit à une simple mélodie, étirée dans le temps et centrée sur les sons. L'indétermination permet, à chaque exécution, de reproduire la fraîcheur et la surprise de la première écoute, avant que nous établissons des relations plus précises entre les événements et que nous les insérons dans des catégories mentales.

Notre cerveau ne cesse, dans tous les domaines, de lisser la discontinuité et de donner une orientation aux événements ; il établit sans cesse des relations de causalité entre les phénomènes et pour ce faire il joue à la fois sur la mémoire et l'anticipation. Il s'agit d'une activité primaire qui fait de notre intelligence un instrument performant pour la survie. Ces attitudes font que notre cerveau est « affamé d'histoires », comme le dit joliment Oliver Sacks.

Une bonne partie de l'art musical (aussi bien que du cinéma, ou du théâtre) est spontanément en phase avec ces mécanismes de la pensée et répond aux attentes ordinaires de notre mental. Or, il s'agit pour moi de proposer une expérience différente, celle d'une musique sans développement ; une musique qui privilégie le percept plutôt que le concept et qui échapperait à la loi de la cause et de l'effet. Ceci est le propre de l'art : il nous permet de faire la connaissance d'univers que nous ne connaissons pas encore.

L'indétermination est un moyen pour obtenir tout cela et voilà la raison pour laquelle elle continue d'occuper une place centrale dans mes compositions. Ce choix ne découle pas, chez moi, d'une idéologie que je m'imposerai, mais vraiment d'une nécessité profonde : j'écris la musique dont j'ai besoin.

La possibilité qu'une composition soit entièrement déterminée n'est pas exclue pour autant, si l'esprit est suffisamment ouvert et la démarche est non intentionnelle.


Vous décrivez Ad ora incerta comme étant « pour orchestre ». Quelle était sa taille dans l'enregistrement et quelle pourrait-elle être pour cette pièce? Votre musique est-elle mieux adaptée aux petits ensembles, en ce qui concerne le monde sonore délicat que vous préférez ? Est-il plus difficile de produire des résultats satisfaisants avec de grands ensembles si on fait appel à l'indétermination?


Ad ora incerta est écrite pour petit orchestre, ici on avait à peu près vingt quatre musiciens. Le nombre de cordes peut varier un peu, mais la taille de l'effectif reste réduite.

J'ai plus de facilité à collaborer avec des ensemble spécialisés ou des solistes, qui sont davantage disponibles à étudier les aspects plus délicats de la musique. Il faut savoir que, assez souvent, mon écriture ne s'appuie qu'en partie sur ce que les musiciens ont appris pendant des longues années et qui ont l'habitude de maîtriser. Parfois je leur demande des modes de jeu ou une manière de repenser les gestes techniques, qui peuvent même aller à l'encontre de ce qu'ils savent faire. Par exemple, pour un violoniste tenir de manière constante et le plus longtemps possible un seul son pour toute la longueur de l'archet est un geste élémentaire et pourtant il s'avère souvent difficile à réaliser. De plus, en effet, certains systèmes pour obtenir l'indétermination requièrent des conduites non ordinaires qu'ils ne peuvent s'appliquer à un gros ensemble.

L'orchestre est une organisation lourde et rigide, très lié au répertoire musical pour laquelle il a été crée. Depuis longtemps, les conditions sociales font qu'il n'évolue plus, ni dans l'instrumentarium, ni dans l'acquisition des nouvelles techniques ou des nouvelles façons de jouer la musique. Malgré quelques épisodes d'ouverture à la musique actuelle, il manque la dynamique qui ferait de l'orchestre une réalité musicale vivante : il n'existe que pour le « grand répertoire ». Jouer certaines de mes partitions exige un engagement et une disponibilité mentale qu'on ne pourrait pas demander à un musicien d'orchestre dans l'état actuel des choses. Ceci étant dit, je peux adapter mon écriture et composer pour n'importe quel effectif et si je n'ai pas travaillé davantage avec les orchestres c'est aussi parce que les commandes aux compositeurs contemporaines sont rares et j'y renonce d'avance.


Enfin, je me demande comment vous pensez que la crise du C-19 affecte et changera à la fois votre propre pratique de compositeur et la musique expérimentale en général?


Dans nos régions le virus va disparaître rapidement ; ce n'est pas le cas de l'attitude des nos gouvernements à envahir nos vies, à nous contrôler. Si on fait abstraction des musiques commerciales (qui elles même n'évoluent pas vraiment), aujourd'hui on joue surtout la musique des siècles passés. On a jamais vu ça : les hommes ont toujours été assoiffés de nouveauté ; à la fin du Moyen-Âge on oubliait les musiques qui étaient composées trente ans auparavant et on oubliait les noms même des compositeurs de la génération qui précédait. Je crains qu'en France et en Italie, l'arrêt de toute activité artistique, suite à l'épidémie, n'aura été qu'un exercice grandeur nature, d'un monde où la musique moderne, la musique « expérimentale » comme vous dites, n'aura plus de place. Pardonnez-moi d'être si pessimiste, mais la situation dans ces deux pays est, depuis bien d'années, catastrophique (en Angleterre elle semble être différente). Le compositeur a sa part de responsabilité. Il y a bien longtemps j'écrivais : « La musique est partout. Elle satisfait des nécessités fonctionnelles : elle peut servir de support à la danse, elle peut libérer les énergies ou, à l'inverse, dispenser un ordre qui rassure, une aura lénifiante. Elle peut constituer un décor, un arrière-plan, destiné à créer une atmosphère ou à meubler les blancs des conversations. La musique remplit les espaces des restaurants et des cafés, des magasins et des supermarchés, des aéroports, parfois même des rues. On ne l'écoute pas. [...]. Je prends acte de cette mutation des modalités de l'écoute et je cherche à en tirer profit. La musique que j'écris peut s'écouter avec concentration ou alors avec une bienheureuse indifférence. Elle a peut-être le mérite de ne pas s'imposer. C'est une musique qui présente à l'attention des événements particuliers, mais qui n'a pas d'évolution et qui n'offre rien sur le plan de la forme. Elle pourra éventuellement se dresser en toile de fond, à l'instar d'une musique d'ameublement, sans que rien ne soit perdu. On est libre d'écouter ou de ne pas écouter ». Cependant, même une telle démarche ne correspond pas assez à un besoin collectif et il manque la nécessaire curiosité de la part du public ; cette curiosité qui, je me souviens, alimentait la vivacité des années '70 et '80.

Photo Fiammetta d’Angiolini

Photo Fiammetta d’Angiolini

Photo Fiammetta d’Angiolini

Critiques

‘Au cœur du son avec Giuliano D’Angiolini’ par Michele Tosi


Adepte d’une musique à bas voltage élaborée à partir de procédés d’indétermination dont il garde le secret, Giuliano d’Angiolini, tout juste soixante ans, est un créateur pour qui l’écriture semble être un cheminement initiatique : en témoigne les quatre œuvres réunies dans ce nouvel album. 

Excepté Ad ora incerta ( « À une heure incertaine ») emprunté à l’écrivain Primo Levi, les trois autres titres de cet enregistrement font référence à la voix. La musique de d’Angiolini chante, à travers le piano d’abord : « chant éperdu » qui abolit le temps dans Aria où le compositeur est à son instrument. Cette lente immersion vers les graves procède par étapes que le silence articule. Chaque son est entendu pour lui-même, dont l’effet de la pédale propage les ondes de résonance dans une transparence aquatique et une douce volupté. Flûte et piano se répondent dans Antifona, selon le principe de l’alternance, où les interventions de la flûte se resserrent à mesure. Avec cette même sensualité du son – magnifique Manuel Zurria - l’instrument à vent louvoie entre souffle et coloration du son, vibrato et son droit, tandis que le piano, baigné de résonance, fait oublier les marteaux qui frappent la corde, générant des illusions acoustiques (battements et mouvement cinétique). L’espace est ouvert et la temporalité flottante dans Ad ora incerta pour orchestre où d’Angiolini « laisse les sons être ce qu’ils sont », à la faveur des procédés d’indétermination, même si le piano assume un rôle conducteur, comme nanti d’une force attractive qui entraîne cette communauté de sonorités, déployant sa toile spectrale vers les graves, au fil d’un lent processus : expérience d’écoute immersive bien menée par Tonino Battista et l’Orchestre du Théâtre de Bologne.

Dans Litania pour six instruments (flûte, trompette, violon, violoncelle, piano et marimba), l’œuvre phare de cet enregistrement, les couleurs sont filtrées (souffle, sourdines des cordes) mais ne se confondent pas. Les attaques sont toujours individualisées et des textures s’élaborent. En jouant sur l’émission du son et ses allures (vibré, non vibré), son grain (celui, plus ou moins sombre, des cordes) et sa durée, d’Angiolini crée la surprise (superbe marimba) et magnifie les différences. Comme Antifona, Litania abolit le temps et nous met à l’écoute du son, dans sa jubilation d’angiolinienne.